
Les conflits au sein du conseil d’administration d’une société peuvent avoir de lourdes conséquences pour les actionnaires. Face à ces situations, il est primordial que ces derniers connaissent leurs droits et les moyens d’action à leur disposition pour préserver leurs intérêts. Cet enjeu majeur soulève de nombreuses questions juridiques complexes, allant du droit à l’information aux actions en justice. Examinons en détail les différents leviers dont disposent les actionnaires pour faire entendre leur voix et protéger leur investissement en cas de dysfonctionnements au plus haut niveau de l’entreprise.
Le droit à l’information des actionnaires : un pilier fondamental
Le droit à l’information constitue la pierre angulaire des prérogatives des actionnaires. En effet, pour pouvoir exercer pleinement leurs droits et prendre des décisions éclairées, les actionnaires doivent avoir accès à une information complète et transparente sur la gestion de la société. Ce droit est consacré par le Code de commerce qui impose aux sociétés de communiquer régulièrement un certain nombre de documents et informations à leurs actionnaires.
Parmi les informations auxquelles les actionnaires ont droit, on peut citer :
- Les comptes annuels et le rapport de gestion
- Les procès-verbaux des assemblées générales
- La liste des administrateurs
- Les conventions réglementées
En cas de conflit au sein du conseil d’administration, ce droit à l’information prend une importance toute particulière. Les actionnaires peuvent en effet demander des explications sur les désaccords qui opposent les administrateurs, les raisons des blocages éventuels dans la prise de décision, ou encore les conséquences potentielles de ces conflits sur la stratégie et les performances de l’entreprise.
Si l’information n’est pas communiquée de manière satisfaisante, les actionnaires disposent de plusieurs recours. Ils peuvent notamment saisir le président du tribunal de commerce statuant en référé pour obtenir la communication des documents sous astreinte. Dans les cas les plus graves, le refus de communiquer certaines informations peut même être constitutif du délit d’entrave.
Le cas particulier des sociétés cotées
Pour les sociétés cotées, les obligations d’information sont encore plus étendues. L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) impose en effet des règles strictes en matière de communication financière. Tout événement susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours de bourse doit être porté à la connaissance du public sans délai. Un conflit majeur au sein du conseil d’administration entre dans cette catégorie et doit donc faire l’objet d’une communication rapide et précise.
Le droit de participer aux assemblées générales et de voter
L’assemblée générale des actionnaires constitue l’organe souverain de la société. C’est lors de ces réunions que les actionnaires peuvent faire entendre leur voix et peser sur les décisions importantes. En cas de conflit au sein du conseil d’administration, l’assemblée générale peut jouer un rôle déterminant pour débloquer la situation.
Les actionnaires ont le droit de participer à toutes les assemblées générales, qu’elles soient ordinaires ou extraordinaires. Ils peuvent y voter personnellement ou par procuration. Le droit de vote est proportionnel à la quotité de capital détenue, sauf dans les cas où les statuts prévoient un droit de vote double pour certaines actions.
Lors de l’assemblée générale ordinaire annuelle, les actionnaires sont amenés à se prononcer sur :
- L’approbation des comptes
- L’affectation du résultat
- La nomination ou le renouvellement des administrateurs
- L’approbation des conventions réglementées
En cas de conflit au sein du conseil d’administration, l’assemblée générale peut être l’occasion pour les actionnaires de demander des explications, voire de prendre des mesures radicales comme la révocation d’un ou plusieurs administrateurs.
Il est à noter que les actionnaires détenant une certaine fraction du capital (généralement 5%) peuvent demander l’inscription de points ou de projets de résolution à l’ordre du jour de l’assemblée. Cette prérogative peut s’avérer particulièrement utile pour forcer le débat sur un sujet de conflit au sein du conseil.
Le droit de poser des questions écrites
En amont de l’assemblée générale, les actionnaires ont également le droit de poser des questions écrites au conseil d’administration. Ces questions doivent recevoir une réponse au cours de l’assemblée. C’est un moyen efficace pour obtenir des éclaircissements sur des points précis liés aux conflits internes au conseil.
Les actions en justice à la disposition des actionnaires
Lorsque le dialogue et les voies amiables ne suffisent pas à résoudre les conflits au sein du conseil d’administration, les actionnaires peuvent envisager des actions en justice pour protéger leurs intérêts. Plusieurs types de recours sont envisageables selon la nature et la gravité des dysfonctionnements constatés.
L’action ut singuli permet à un actionnaire d’agir au nom de la société contre les dirigeants ou administrateurs dont la gestion aurait causé un préjudice à l’entreprise. Cette action est particulièrement pertinente lorsque les conflits au sein du conseil résultent de fautes de gestion ou de violations des obligations légales ou statutaires par certains administrateurs.
Pour exercer l’action ut singuli, l’actionnaire doit démontrer :
- L’existence d’une faute de gestion
- Un préjudice subi par la société
- Un lien de causalité entre la faute et le préjudice
Si l’action aboutit, les dommages et intérêts éventuellement obtenus bénéficient à la société et non directement à l’actionnaire ayant intenté l’action.
Une autre voie de recours possible est l’action en responsabilité civile contre les administrateurs. Cette action vise à obtenir réparation d’un préjudice personnel subi par l’actionnaire du fait des agissements fautifs des administrateurs. La difficulté réside ici dans la démonstration d’un préjudice distinct de celui subi par la société elle-même.
L’expertise de gestion
L’expertise de gestion est une procédure qui permet aux actionnaires représentant au moins 5% du capital social de demander au tribunal la désignation d’un expert chargé d’enquêter sur une ou plusieurs opérations de gestion. Cette mesure peut s’avérer très utile pour faire la lumière sur les causes profondes des conflits au sein du conseil d’administration et obtenir des éléments probants en vue d’éventuelles actions ultérieures.
Les mécanismes de prévention et de résolution des conflits
Au-delà des actions a posteriori, il existe des mécanismes permettant de prévenir ou de résoudre en amont les conflits au sein du conseil d’administration. Ces dispositifs, souvent inscrits dans les statuts ou dans un pacte d’actionnaires, visent à encadrer le fonctionnement du conseil et à prévoir des procédures de déblocage en cas de désaccord.
Parmi ces mécanismes, on peut citer :
- La mise en place de comités spécialisés au sein du conseil (comité d’audit, comité des rémunérations, etc.)
- L’instauration d’une charte de gouvernance
- La nomination d’administrateurs indépendants
- La prévision de procédures de médiation ou d’arbitrage
La clause de buy-or-sell (ou clause d’offre alternative) est un exemple de mécanisme de résolution des conflits particulièrement efficace. Elle prévoit qu’en cas de blocage, un actionnaire peut proposer aux autres soit de leur racheter leurs parts, soit de leur vendre les siennes, à un prix déterminé. Les autres actionnaires doivent alors choisir entre vendre ou acheter.
La mise en place de tels mécanismes nécessite une réflexion approfondie en amont et une rédaction minutieuse des clauses correspondantes. Il est vivement recommandé de faire appel à un avocat spécialisé en droit des sociétés pour élaborer ces dispositifs.
Le rôle des codes de gouvernance
Pour les sociétés cotées, les codes de gouvernance comme le code AFEP-MEDEF en France jouent un rôle important dans la prévention des conflits. Ces codes, bien que non contraignants juridiquement, énoncent des bonnes pratiques en matière de fonctionnement du conseil d’administration. Les sociétés qui choisissent de s’y référer doivent expliquer dans leur rapport annuel les raisons pour lesquelles elles n’appliquent pas certaines recommandations (principe du « comply or explain »).
Perspectives d’évolution : vers un renforcement des droits des actionnaires ?
La question des droits des actionnaires en cas de conflits au sein du conseil d’administration s’inscrit dans une réflexion plus large sur la gouvernance des entreprises. On observe ces dernières années une tendance au renforcement des droits des actionnaires, notamment sous l’impulsion du droit européen.
La directive européenne sur les droits des actionnaires, transposée en droit français en 2019, a ainsi introduit plusieurs avancées significatives :
- Un droit de regard accru sur la rémunération des dirigeants (« say on pay »)
- Une meilleure identification des actionnaires pour faciliter l’exercice de leurs droits
- Un encadrement plus strict des transactions avec les parties liées
Ces évolutions témoignent d’une volonté de renforcer le pouvoir de contrôle des actionnaires sur la gestion de l’entreprise. Elles pourraient à terme conduire à une redéfinition de l’équilibre des pouvoirs au sein des sociétés, avec un rôle accru des actionnaires dans la résolution des conflits au niveau du conseil d’administration.
Certains observateurs plaident pour aller encore plus loin, en proposant par exemple :
- Un abaissement des seuils de détention du capital requis pour certaines actions (demande d’expertise de gestion, inscription de points à l’ordre du jour des assemblées)
- Une extension du champ de l’action ut singuli
- Un renforcement des obligations de transparence sur les conflits internes au conseil
Ces propositions font toutefois l’objet de débats, certains craignant qu’un pouvoir trop important accordé aux actionnaires ne nuise à la stabilité et à l’efficacité de la gouvernance des entreprises.
L’impact du développement de l’activisme actionnarial
Le phénomène de l’activisme actionnarial mérite une attention particulière dans cette réflexion sur l’évolution des droits des actionnaires. Les fonds activistes, qui prennent des participations dans des sociétés cotées pour influencer leur stratégie, utilisent de plus en plus les outils juridiques à leur disposition pour faire pression sur les conseils d’administration.
Cette tendance pourrait conduire à une utilisation plus fréquente et plus offensive des droits des actionnaires en cas de conflit, avec potentiellement des effets déstabilisateurs pour les entreprises. Elle soulève la question de l’équilibre à trouver entre la protection légitime des intérêts des actionnaires et la préservation de la capacité des entreprises à définir et mettre en œuvre leur stratégie sur le long terme.
En définitive, la question des droits des actionnaires en cas de conflits au sein du conseil d’administration s’avère complexe et en constante évolution. Elle nécessite de concilier des impératifs parfois contradictoires : protection des investisseurs, efficacité de la gouvernance, stabilité des entreprises. Les actionnaires disposent aujourd’hui d’un arsenal juridique conséquent pour faire valoir leurs droits, mais son utilisation requiert une connaissance approfondie des mécanismes en jeu et souvent l’accompagnement de professionnels du droit. Dans ce contexte mouvant, une veille juridique constante s’impose pour les actionnaires soucieux de protéger au mieux leurs intérêts.