L’obligation de garantie de l’assureur face aux sinistres graves en matière de prêt immobilier

Les sinistres graves, tels que l’invalidité permanente ou le décès, peuvent survenir pendant la durée d’un prêt immobilier, bouleversant la situation financière des emprunteurs ou de leurs proches. Dans ce contexte, l’assurance emprunteur constitue un filet de sécurité fondamental. Pourtant, de nombreux assurés se heurtent à des refus de prise en charge ou à des interprétations restrictives des contrats lorsqu’un sinistre se produit. Face à cette réalité, le cadre juridique français a considérablement évolué pour renforcer les obligations des assureurs et protéger les droits des assurés. Cette analyse juridique examine les mécanismes de protection, les obligations légales des compagnies d’assurance, et les recours disponibles pour les emprunteurs confrontés à un sinistre majeur pendant la durée de leur crédit immobilier.

Le cadre juridique de l’assurance emprunteur en matière immobilière

L’assurance emprunteur pour un prêt immobilier s’inscrit dans un environnement juridique complexe, à l’intersection du droit des assurances, du droit bancaire et du droit de la consommation. Le Code des assurances et le Code de la consommation constituent les principales sources normatives encadrant les relations entre assureurs et assurés dans ce domaine.

La loi Lagarde de 2010 a marqué un tournant décisif en instaurant le principe de déliaison entre le prêt et l’assurance, permettant aux emprunteurs de choisir librement leur assureur. Cette évolution s’est poursuivie avec la loi Hamon de 2014, qui a introduit la possibilité de résilier l’assurance emprunteur durant la première année du contrat. Plus récemment, la loi Lemoine de 2022 a renforcé considérablement les droits des assurés en permettant la résiliation à tout moment de l’assurance emprunteur et en réduisant la durée du droit à l’oubli pour les personnes ayant souffert de pathologies graves.

En matière de sinistres graves, le cadre légal impose aux assureurs une série d’obligations fondamentales. L’article L113-5 du Code des assurances stipule que « l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat, après la réalisation du risque garanti ». Cette disposition constitue le socle de l’obligation de garantie qui incombe à l’assureur.

Par ailleurs, le devoir d’information et de conseil de l’assureur est particulièrement encadré. La Cour de cassation a régulièrement rappelé que ce devoir s’étend à toutes les phases du contrat, y compris lors de la survenance d’un sinistre. Dans un arrêt du 2 juillet 2019, la première chambre civile a précisé que « l’assureur est tenu d’une obligation d’information et de conseil envers l’assuré, tant lors de la conclusion du contrat que pendant son exécution ».

Les conventions AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) complètent ce dispositif légal en facilitant l’accès à l’assurance pour les personnes présentant un risque aggravé de santé. Ces conventions prévoient notamment des mécanismes spécifiques pour l’évaluation des sinistres liés à l’état de santé de l’assuré.

Types de garanties couvertes

  • La garantie décès, qui prévoit le remboursement du capital restant dû en cas de décès de l’assuré
  • La garantie PTIA (Perte Totale et Irréversible d’Autonomie), qui intervient lorsque l’assuré se trouve dans l’impossibilité définitive de se livrer à une activité professionnelle et nécessite l’assistance d’une tierce personne pour accomplir les actes ordinaires de la vie
  • La garantie IPT (Invalidité Permanente Totale), applicable lorsque l’assuré est reconnu définitivement incapable d’exercer toute activité professionnelle
  • La garantie IPP (Invalidité Permanente Partielle), qui couvre une incapacité partielle d’exercer son activité professionnelle
  • La garantie ITT (Incapacité Temporaire de Travail), qui prend en charge les échéances du prêt pendant la période d’arrêt de travail

Les obligations précontractuelles et contractuelles de l’assureur

Avant même la survenance d’un sinistre, l’assureur est soumis à des obligations strictes qui conditionneront ultérieurement sa responsabilité en cas d’événement dommageable. Ces obligations s’articulent principalement autour du devoir d’information et de conseil, ainsi que de la rédaction transparente des clauses contractuelles.

Le devoir d’information de l’assureur trouve son fondement dans l’article L112-2 du Code des assurances, qui impose la remise d’une fiche d’information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat. Cette obligation a été considérablement renforcée par la jurisprudence. La Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 10 novembre 2015, a affirmé que « l’assureur est tenu d’une obligation particulière d’information et de conseil à l’égard de son assuré, lui permettant d’apprécier les risques garantis et non garantis ».

Cette obligation précontractuelle se double d’un devoir de mise en garde, particulièrement pertinent dans le contexte des prêts immobiliers. L’assureur doit attirer l’attention de l’emprunteur sur les exclusions de garantie et sur l’adéquation des garanties proposées avec sa situation personnelle et professionnelle. Le non-respect de ce devoir peut engager la responsabilité de l’assureur, comme l’a rappelé la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 octobre 2020.

Sur le plan contractuel, la transparence des clauses constitue une exigence fondamentale. L’article L112-4 du Code des assurances impose que les exclusions de garantie soient « formelles et limitées », c’est-à-dire rédigées en termes clairs et précis. La jurisprudence sanctionne régulièrement les clauses ambiguës ou imprécises, en les déclarant inopposables à l’assuré. Dans un arrêt du 22 mai 2018, la première chambre civile a ainsi jugé inopposable une clause d’exclusion dont la rédaction ne permettait pas à l’assuré d’en comprendre précisément la portée.

La définition précise des sinistres garantis constitue un autre aspect fondamental des obligations contractuelles de l’assureur. Les notions d’invalidité, d’incapacité ou de perte d’autonomie doivent être définies avec précision dans le contrat. La Cour de cassation a développé une jurisprudence protectrice pour les assurés en interprétant strictement les définitions contractuelles. Dans un arrêt du 29 juin 2017, elle a ainsi considéré qu’une définition trop restrictive de l’incapacité de travail était abusive.

Enfin, la Convention AERAS impose aux assureurs des obligations spécifiques en matière d’information des personnes présentant un risque aggravé de santé. Les assureurs doivent notamment motiver précisément leurs décisions de refus ou d’exclusion de garantie, et proposer, le cas échéant, des garanties alternatives.

Les procédures de traitement des sinistres graves

Lorsqu’un sinistre grave survient, l’assureur doit respecter un processus rigoureux d’instruction et d’indemnisation. Cette phase constitue un moment critique où les obligations de l’assureur se concrétisent face à la situation de vulnérabilité de l’assuré ou de ses ayants droit.

La déclaration du sinistre marque le point de départ de ce processus. Conformément à l’article L113-2 du Code des assurances, l’assuré doit déclarer le sinistre dans les délais prévus au contrat. En réponse, l’assureur a l’obligation d’accuser réception de cette déclaration et d’informer l’assuré des pièces justificatives nécessaires à l’instruction du dossier.

L’instruction du dossier doit être menée avec diligence et impartialité. L’assureur dispose généralement d’un délai contractuel pour se prononcer sur la prise en charge du sinistre. Ce délai ne peut être excessif, sous peine d’engager la responsabilité de l’assureur pour traitement dilatoire. La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 mars 2019, a rappelé que « l’assureur qui retarde sans motif légitime le règlement de l’indemnité due à l’assuré commet une faute engageant sa responsabilité ».

L’assureur peut recourir à une expertise médicale pour évaluer l’état de santé de l’assuré, notamment dans les cas d’invalidité ou d’incapacité. Cette expertise doit être menée dans des conditions d’impartialité et de transparence. L’article L1141-2 du Code de la santé publique garantit à l’assuré l’accès à son dossier médical et aux conclusions de l’expert. En cas de contestation, l’assuré peut solliciter une contre-expertise, voire une expertise judiciaire.

La décision de prise en charge ou de refus doit être motivée et notifiée par écrit à l’assuré. En cas de refus, l’assureur doit indiquer précisément les motifs de sa décision et les voies de recours disponibles. Un refus non motivé ou fondé sur des motifs imprécis peut être sanctionné par les tribunaux. Dans un arrêt du 5 février 2020, la deuxième chambre civile a jugé qu’un refus de garantie fondé sur une motivation générale et imprécise ne satisfaisait pas aux exigences légales.

Délais légaux et contractuels

  • Délai de déclaration du sinistre : généralement entre 5 jours et 3 mois selon la nature du sinistre
  • Délai d’instruction du dossier : variable selon les contrats, mais ne pouvant excéder un délai raisonnable (généralement 30 à 90 jours)
  • Délai de versement de l’indemnité : selon l’article L113-5 du Code des assurances, l’indemnité doit être versée dans le délai convenu au contrat
  • Délai de prescription : deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance (article L114-1 du Code des assurances)

Les litiges relatifs aux refus de garantie et leurs résolutions

Les contentieux entre assureurs et assurés surviennent fréquemment dans le cadre des sinistres graves. Ces litiges portent principalement sur l’interprétation des clauses contractuelles, la qualification du sinistre ou la contestation des expertises médicales. La jurisprudence a progressivement dégagé des principes protecteurs des droits des assurés.

Les clauses d’exclusion constituent une source majeure de litiges. Conformément à l’article L112-4 du Code des assurances, ces clauses doivent être « formelles et limitées ». La Cour de cassation interprète strictement cette exigence. Dans un arrêt du 26 novembre 2020, la deuxième chambre civile a jugé inopposable une clause excluant les « affections psychiatriques » sans définition précise de cette notion. De même, dans un arrêt du 12 décembre 2019, elle a écarté une clause excluant les « maladies du dos » en raison de son caractère trop général.

La qualification du sinistre suscite également de nombreux contentieux, notamment concernant le degré d’invalidité ou d’incapacité. Les tribunaux tendent à privilégier une approche concrète, prenant en compte la situation personnelle et professionnelle de l’assuré. Dans un arrêt du 4 juillet 2018, la première chambre civile a ainsi considéré que l’incapacité d’exercer sa profession devait s’apprécier au regard de la profession effectivement exercée par l’assuré au moment du sinistre, et non d’une profession théorique.

Les contestations d’expertises médicales représentent un autre point de friction. La jurisprudence reconnaît à l’assuré le droit de contester les conclusions de l’expert désigné par l’assureur. Dans un arrêt du 17 mars 2016, la deuxième chambre civile a rappelé que « l’expertise unilatérale diligentée par l’assureur n’a pas de valeur probatoire prééminente et peut être combattue par tout moyen de preuve ».

Face à ces litiges, plusieurs modes de résolution s’offrent aux assurés. La médiation constitue une première voie, avec l’intervention du médiateur de l’assurance, autorité indépendante dont les avis, bien que non contraignants, sont généralement suivis par les assureurs. La procédure judiciaire demeure néanmoins souvent nécessaire, avec une compétence partagée entre le tribunal judiciaire (pour les litiges supérieurs à 10 000 euros) et le tribunal de proximité (pour les litiges inférieurs à ce seuil).

La charge de la preuve joue un rôle déterminant dans ces contentieux. Si l’assuré doit prouver que le sinistre entre dans le champ des garanties, c’est à l’assureur de démontrer que les exclusions contractuelles s’appliquent. Cette répartition a été clairement affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 janvier 2015, où elle a jugé qu' »il incombe à l’assureur qui se prévaut d’une exclusion de garantie de rapporter la preuve que les conditions de cette exclusion sont réunies ».

La protection renforcée des emprunteurs vulnérables

Le législateur et la jurisprudence ont progressivement renforcé la protection des emprunteurs se trouvant dans des situations de particulière vulnérabilité, notamment en raison de leur état de santé ou de leur âge. Ces dispositifs spécifiques visent à garantir l’accès à l’assurance et à assurer une indemnisation effective en cas de sinistre grave.

La convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) constitue le principal dispositif de protection des personnes présentant un risque aggravé de santé. Révisée en 2019, cette convention prévoit un examen approfondi des demandes d’assurance à trois niveaux successifs, garantissant ainsi que chaque dossier reçoit une attention particulière. En cas de sinistre, la convention impose aux assureurs des obligations spécifiques, notamment en termes de transparence et de motivation des décisions.

Le droit à l’oubli, consacré par la loi de 2016 et renforcé par la loi Lemoine de 2022, représente une avancée majeure pour les personnes ayant souffert de pathologies graves. Ce dispositif permet aux personnes guéries d’un cancer ou d’une hépatite C de ne plus avoir à déclarer cette maladie après un délai de cinq ans (contre dix ans auparavant) à compter de la fin du protocole thérapeutique. En cas de sinistre sans lien avec la pathologie concernée par le droit à l’oubli, l’assureur ne peut opposer une déchéance de garantie pour fausse déclaration.

La protection des personnes âgées a également été renforcée, notamment par la jurisprudence. La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 novembre 2019, a jugé abusive une clause limitant la garantie décès aux personnes de moins de 70 ans, considérant qu’une telle limitation créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Cette jurisprudence protectrice s’inscrit dans une tendance plus large de lutte contre les discriminations fondées sur l’âge.

Les maladies psychiatriques et du dos, traditionnellement exclues des garanties ou soumises à des conditions restrictives, bénéficient désormais d’une protection accrue. La loi Lemoine a ainsi interdit les surprimes et exclusions de garantie pour ces pathologies lorsqu’elles n’ont pas donné lieu à un arrêt de travail de plus de 30 jours consécutifs ou à un traitement médicamenteux pendant plus de deux ans. Cette avancée législative limite considérablement la possibilité pour les assureurs de refuser la prise en charge des sinistres liés à ces pathologies.

Enfin, la protection des données de santé des emprunteurs a été considérablement renforcée par le RGPD et par la loi Informatique et Libertés. Les assureurs doivent respecter des obligations strictes en matière de collecte, de conservation et d’utilisation des données médicales. Le non-respect de ces obligations peut entraîner des sanctions administratives prononcées par la CNIL, mais aussi engager la responsabilité civile de l’assureur en cas de préjudice subi par l’assuré.

Dispositifs spécifiques de protection

  • La grille de référence AERAS qui liste les pathologies pour lesquelles l’assurance est accessible sans surprime ni exclusion de garantie
  • Le droit à l’oubli pour les cancers et l’hépatite C après cinq ans sans rechute
  • Le dispositif d’écrêtement des surprimes pour les emprunteurs aux revenus modestes
  • La garantie invalidité spécifique (GIS) pour les personnes ne pouvant bénéficier des garanties standards

Les perspectives d’évolution du droit de l’assurance emprunteur

Le droit de l’assurance emprunteur connaît une évolution constante, sous l’impulsion du législateur, de la jurisprudence et des transformations sociétales. Plusieurs tendances se dessinent pour les années à venir, avec un renforcement probable des droits des assurés face aux sinistres graves.

La digitalisation du secteur de l’assurance emprunteur transforme profondément les relations entre assureurs et assurés. Le développement des assurtechs et l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché contribuent à une simplification des procédures de souscription et de déclaration des sinistres. Cette évolution pose néanmoins des questions juridiques inédites, notamment en matière de protection des données personnelles et de consentement éclairé. La CNIL et l’ACPR ont d’ailleurs publié en 2020 des recommandations conjointes sur le traitement des données dans le secteur de l’assurance.

L’harmonisation européenne constitue une autre tendance majeure. La Commission européenne a lancé en 2021 une consultation sur la révision de la directive sur la distribution d’assurances (DDA), qui pourrait conduire à un renforcement des obligations d’information et de conseil des assureurs. Par ailleurs, les travaux de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) visent à harmoniser les pratiques nationales en matière de traitement des sinistres.

La judiciarisation croissante des relations assureur-assuré se traduit par un contentieux abondant, qui contribue à préciser les contours des obligations des assureurs. Cette tendance devrait se poursuivre, avec un affinement progressif de la jurisprudence sur des questions techniques comme la définition de l’invalidité professionnelle ou la portée du devoir de conseil. La Cour de cassation a d’ailleurs constitué en 2021 un groupe de travail spécifique sur le droit des assurances, signe de l’importance accordée à cette matière.

Le renforcement des sanctions contre les pratiques abusives des assureurs constitue une autre évolution notable. La loi Lemoine a ainsi introduit des sanctions spécifiques en cas de non-respect du droit à résiliation. Cette tendance pourrait s’étendre aux manquements aux obligations de l’assureur en cas de sinistre, avec la mise en place de pénalités automatiques en cas de retard dans le traitement des dossiers ou de refus injustifié de garantie.

Enfin, l’extension des garanties aux nouveaux risques liés aux évolutions sociétales et environnementales constitue un enjeu majeur. Les conséquences du changement climatique sur le bâti, l’émergence de nouvelles pathologies ou les transformations du monde du travail posent des défis inédits pour l’assurance emprunteur. Le législateur pourrait intervenir pour garantir une couverture adéquate de ces nouveaux risques, dans la lignée de ce qui a été fait pour les risques psychologiques et psychiatriques.

Propositions de réformes en discussion

  • Création d’un fonds de garantie spécifique pour les emprunteurs victimes de sinistres graves non couverts par leur assurance
  • Mise en place d’une procédure accélérée pour le traitement des sinistres graves, avec des délais contraignants pour les assureurs
  • Institution d’un médiateur spécifique pour les litiges relatifs à l’assurance emprunteur
  • Extension du droit à l’oubli à d’autres pathologies que les cancers et l’hépatite C

Ces évolutions témoignent d’une prise de conscience collective de l’importance de l’assurance emprunteur comme mécanisme de protection sociale. Le droit de l’assurance emprunteur se trouve ainsi à la croisée des chemins, entre logique assurantielle traditionnelle et impératifs de protection des personnes vulnérables.