La nullité en droit des assurances constitue une sanction radicale qui anéantit rétroactivement le contrat comme s’il n’avait jamais existé. Cette conséquence juridique majeure intervient principalement en cas de fausse déclaration, de réticence intentionnelle ou d’omission lors de la formation du contrat. Le Code des assurances prévoit un régime spécifique qui distingue les sanctions selon le caractère intentionnel ou non du manquement. À travers des cas pratiques issus de la jurisprudence récente, nous analyserons les mécanismes, conditions et effets des nullités, ainsi que les stratégies de défense pour les assurés et les assureurs face à cette sanction aux conséquences patrimoniales souvent désastreuses.
Fondements juridiques et conditions de mise en œuvre de la nullité
Le cadre légal des nullités en droit des assurances s’articule principalement autour des articles L.113-8 et L.113-9 du Code des assurances. L’article L.113-8 prévoit la nullité absolue du contrat en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle, tandis que l’article L.113-9 organise un régime de réduction proportionnelle des indemnités en cas d’omission ou de déclaration inexacte non intentionnelle.
La mise en œuvre de la nullité requiert la réunion de plusieurs conditions cumulatives. D’abord, l’existence d’une déclaration inexacte ou d’une omission concernant des éléments permettant à l’assureur d’apprécier le risque. Ensuite, le caractère intentionnel de cette inexactitude, impliquant la volonté délibérée de tromper l’assureur. Enfin, l’assureur doit démontrer que cette inexactitude a modifié son appréciation du risque – c’est le critère déterminant de la matérialité.
Cas pratique : dans l’affaire Cass. 2e civ., 12 février 2020, n°19-12.294, un assuré avait omis de déclarer des antécédents médicaux significatifs lors de la souscription d’une assurance emprunteur. Suite à son décès, l’assureur a invoqué la nullité du contrat. La Cour a confirmé cette nullité en constatant que l’assuré avait intentionnellement dissimulé des pathologies préexistantes qui auraient conduit l’assureur à refuser la garantie ou à l’accorder moyennant une surprime substantielle.
La charge de la preuve de l’intention frauduleuse incombe à l’assureur, conformément à l’article 1315 du Code civil. Cette preuve peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes. Les tribunaux apprécient souverainement les éléments constitutifs de la mauvaise foi, notamment l’écart significatif entre la réalité et la déclaration, la compétence professionnelle de l’assuré, ou encore la précision des questions posées dans le questionnaire de risque.
Il convient de noter que la nullité ne peut être invoquée par l’assureur lorsque le risque omis ou dénaturé a disparu au moment du sinistre, selon le principe d’absence d’incidence développé par la jurisprudence (Cass. 1re civ., 7 juin 2018, n°17-18.657). De même, l’assureur ne peut se prévaloir de la nullité s’il avait connaissance effective du risque réel, malgré la déclaration erronée de l’assuré.
Régime procédural et prescription de l’action en nullité
L’action en nullité obéit à un régime procédural spécifique que les praticiens doivent maîtriser. L’article L.114-1 du Code des assurances prévoit que toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. Toutefois, en matière de nullité pour fausse déclaration intentionnelle, le point de départ de ce délai est fixé au jour où l’assureur a eu connaissance effective de la réticence ou de la fausse déclaration, et non à la date de souscription du contrat.
La Cour de cassation a précisé cette règle dans son arrêt du 3 octobre 2019 (n°18-19.241) où elle affirme que « le point de départ du délai de prescription biennale de l’action en nullité exercée par l’assureur pour fausse déclaration intentionnelle se situe au jour où il a eu connaissance de la réticence ou de la fausse déclaration ». Cette solution jurisprudentielle protège les assureurs contre la prescription acquisitive qui pourrait résulter d’une découverte tardive de la fraude.
Sur le plan procédural, l’assureur doit respecter un formalisme strict pour invoquer la nullité. La jurisprudence exige une notification motivée adressée à l’assuré, détaillant précisément les éléments constitutifs de la fraude alléguée. Une simple lettre de refus de garantie sans mention explicite de la nullité est insuffisante (Cass. 2e civ., 5 juillet 2018, n°17-20.491).
L’assureur peut invoquer la nullité par voie d’exception à tout moment, même après l’expiration du délai de prescription biennale, lorsqu’il est assigné en paiement de l’indemnité. Cette règle découle du principe d’imprescriptibilité de l’exception de nullité, résumé par l’adage « quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum » (Cass. 2e civ., 4 mai 2017, n°16-17.187).
Particularités sectorielles
Certains secteurs présentent des spécificités procédurales notables :
- En assurance-vie, l’action en nullité est soumise au délai quinquennal de droit commun et non au délai biennal spécifique aux assurances (Cass. 2e civ., 10 septembre 2020, n°19-14.390)
- En assurance emprunteur, le prêteur bénéficiaire doit être mis en cause dans l’action en nullité intentée par l’assureur (Cass. 2e civ., 13 juin 2019, n°18-14.743)
Dans le contentieux de la nullité, la compétence juridictionnelle varie selon la nature du litige et la qualité des parties. Le tribunal judiciaire est compétent pour les litiges entre assureurs et assurés professionnels, tandis que le tribunal de proximité connaît des litiges impliquant des consommateurs pour des montants inférieurs à 10 000 euros. Cette répartition des compétences influence significativement la stratégie contentieuse à adopter.
Effets juridiques et conséquences patrimoniales de la nullité
La nullité du contrat d’assurance produit des effets rétroactifs considérables, tant pour l’assureur que pour l’assuré. Conformément à l’article L.113-8 du Code des assurances, le contrat est anéanti ab initio, comme s’il n’avait jamais existé. Cette rétroactivité entraîne plusieurs conséquences patrimoniales majeures.
Pour l’assureur, la nullité lui permet de conserver les primes échues à titre de dommages et intérêts, comme le prévoit expressément l’article L.113-8. Cette sanction a été confirmée par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 mars 2019 (n°18-10.520) où elle précise que « l’assureur est fondé à conserver les primes payées et à réclamer le paiement des primes échues à titre de dommages et intérêts, sans avoir à justifier d’un préjudice distinct ». Cette conservation des primes constitue une peine privée visant à sanctionner la mauvaise foi de l’assuré.
Pour l’assuré, les conséquences sont particulièrement sévères. Non seulement il perd le bénéfice de la garantie pour tous les sinistres passés, présents et futurs, mais il doit également rembourser les indemnités antérieurement perçues pour d’autres sinistres survenus pendant la période de validité apparente du contrat. Dans l’affaire Cass. 2e civ., 18 janvier 2018 (n°16-22.869), un assuré a dû restituer plus de 150 000 euros d’indemnités versées pour un premier sinistre, après que l’assureur ait découvert, à l’occasion d’un second sinistre, une fausse déclaration intentionnelle lors de la souscription.
La nullité affecte également les tiers bénéficiaires du contrat d’assurance. En assurance de responsabilité, la victime perd son droit d’action directe contre l’assureur (article L.124-3 du Code des assurances). Toutefois, dans un souci de protection des victimes, la jurisprudence a tempéré cette rigueur en matière d’assurance automobile obligatoire. La Cour de cassation considère que la nullité du contrat n’est pas opposable aux victimes d’accidents de la circulation, l’assureur conservant seulement un droit de recours contre l’assuré fautif (Cass. 2e civ., 25 janvier 2018, n°16-25.330).
Dans certaines circonstances, les tribunaux peuvent moduler les effets de la nullité en appliquant la théorie de la divisibilité du contrat. Ainsi, lorsque la fausse déclaration ne concerne qu’une garantie spécifique dans un contrat multirisque, la nullité peut être limitée à cette seule garantie (Cass. 2e civ., 14 juin 2018, n°17-16.637). Cette solution jurisprudentielle illustre la recherche d’un équilibre proportionné entre la sanction de la mauvaise foi et la protection des intérêts légitimes de l’assuré.
Stratégies de défense et moyens de contestation pour l’assuré
Face à une action en nullité, l’assuré dispose de plusieurs moyens de défense susceptibles de faire échec à la demande de l’assureur. Ces stratégies s’articulent autour de la contestation des éléments constitutifs de la nullité et de l’invocation de règles protectrices.
La première ligne de défense consiste à contester le caractère intentionnel de l’inexactitude. Dans l’affaire Cass. 2e civ., 8 novembre 2018 (n°17-25.828), un assuré a obtenu gain de cause en démontrant que son omission résultait d’une méconnaissance légitime des informations demandées et non d’une volonté de tromper. L’assuré peut également invoquer l’ambiguïté du questionnaire de risque, dont la rédaction imprécise a pu induire une compréhension erronée des questions posées. La jurisprudence est constante sur ce point : « l’assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré que si les questions posées lors de la conclusion du contrat étaient précises et dépourvues d’ambiguïté » (Cass. 2e civ., 16 mai 2019, n°18-15.352).
Une stratégie efficace consiste également à contester la matérialité de la fausse déclaration, en démontrant que l’élément prétendument dissimulé n’aurait pas modifié l’appréciation du risque par l’assureur. Cette défense s’appuie sur l’exigence légale selon laquelle la nullité n’est encourue que si la réticence ou la fausse déclaration « change l’objet du risque ou en diminue l’opinion pour l’assureur » (article L.113-8). Dans l’arrêt Cass. 2e civ., 13 septembre 2018 (n°17-22.112), la Cour a écarté la nullité invoquée par un assureur qui n’avait pas prouvé que la connaissance exacte du risque l’aurait conduit à ne pas contracter ou à exiger une prime supérieure.
L’assuré peut également se prévaloir de la connaissance effective du risque par l’assureur. Si ce dernier disposait d’informations lui permettant de connaître la réalité du risque, indépendamment des déclarations de l’assuré, il ne peut invoquer la nullité du contrat. Cette règle s’applique notamment lorsque l’assureur a effectué une visite de risque avant la souscription ou lorsqu’il disposait d’informations par l’intermédiaire de son agent général (Cass. 2e civ., 21 mars 2019, n°18-12.614).
Le défaut de questionnaire préalable constitue un moyen de défense particulièrement efficace. La Cour de cassation considère que « l’assureur qui n’a pas soumis un questionnaire précis à l’assuré ne peut se prévaloir d’une réticence ou d’une fausse déclaration intentionnelle » (Cass. 2e civ., 15 février 2018, n°17-12.411). Cette jurisprudence protectrice impose à l’assureur une obligation formelle de questionnement, sans laquelle il ne peut reprocher à l’assuré d’avoir omis certaines informations.
Enfin, l’assuré peut invoquer la prescription biennale de l’action en nullité, si l’assureur a eu connaissance de la prétendue fausse déclaration plus de deux ans avant d’agir. La preuve de cette connaissance antérieure peut résulter de divers éléments, comme des courriers échangés, des expertises ou des déclarations de sinistres révélant la réalité du risque (Cass. 2e civ., 12 décembre 2019, n°18-17.657).
Évolutions jurisprudentielles et perspectives d’harmonisation européenne
La jurisprudence relative aux nullités en droit des assurances connaît des évolutions significatives qui redessinent progressivement les contours de cette sanction radicale. Ces dernières années, on observe un mouvement de judiciarisation accrue des contentieux liés à la nullité, avec une tendance des tribunaux à encadrer plus strictement les conditions de mise en œuvre de l’article L.113-8 du Code des assurances.
Un premier infléchissement jurisprudentiel concerne l’appréciation du caractère intentionnel de la fausse déclaration. Dans son arrêt du 19 mars 2020 (n°19-11.215), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé que « l’intention de tromper suppose la réunion d’un élément matériel, consistant en une déclaration inexacte, et d’un élément moral, caractérisé par la conscience du caractère inexact de cette déclaration ». Cette jurisprudence renforce l’exigence probatoire à la charge de l’assureur, qui doit désormais démontrer non seulement l’inexactitude objective, mais aussi la connaissance subjective de cette inexactitude par l’assuré.
Dans le domaine de l’assurance emprunteur, la Cour de cassation a développé une jurisprudence protectrice des assurés en cas de questionnaires médicaux imprécis. L’arrêt du 10 décembre 2020 (n°19-17.724) illustre cette tendance : « l’imprécision des questions posées dans le questionnaire de santé ne permet pas à l’assureur d’invoquer la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle, dès lors que l’assuré pouvait légitimement considérer que les informations non déclarées n’entraient pas dans le champ des questions posées ». Cette solution renforce l’obligation de l’assureur de formuler des questions claires et exhaustives.
Sur le plan européen, le Projet de Cadre Commun de Référence (PCCR) propose une harmonisation des règles relatives aux sanctions applicables en cas de fausse déclaration du risque. Ce projet distingue trois niveaux de sanctions selon la gravité du comportement de l’assuré : la résiliation du contrat, l’adaptation proportionnelle de la prestation d’assurance, et la nullité réservée aux cas de fraude caractérisée. Cette approche graduée et proportionnée pourrait influencer l’évolution future du droit français.
La question des nullités s’inscrit également dans un contexte de digitalisation croissante de la souscription d’assurance. La multiplication des contrats conclus à distance, sans intervention humaine, soulève de nouvelles problématiques concernant la qualité de l’information fournie à l’assuré et la pertinence des questionnaires automatisés. Dans son arrêt du 17 septembre 2020 (n°19-15.985), la Cour de cassation a souligné que « l’assureur proposant une souscription en ligne doit adapter son questionnaire de risque aux spécificités de ce mode de distribution et s’assurer que l’assuré dispose de toutes les informations nécessaires pour répondre en connaissance de cause ».
Les nouvelles technologies offrent également des perspectives d’évolution en matière de preuve de la fraude. L’utilisation de l’intelligence artificielle et des algorithmes prédictifs permet aux assureurs de détecter plus efficacement les incohérences dans les déclarations des assurés. Toutefois, cette évolution soulève des questions éthiques et juridiques concernant la protection des données personnelles et le risque de décisions automatisées préjudiciables aux assurés.
Le droit des nullités en assurance se trouve ainsi à la croisée des chemins, entre renforcement de la protection des assurés et adaptation aux nouvelles réalités technologiques. L’équilibre entre la sanction légitime de la fraude et la protection des intérêts de la partie faible au contrat constitue l’enjeu majeur des évolutions jurisprudentielles et législatives à venir dans ce domaine.
