L’affacturage et le mandat d’encaissement : mécanismes juridiques et pratiques commerciales

Face aux défis de trésorerie que rencontrent les entreprises, l’affacturage et le mandat d’encaissement s’imposent comme des solutions financières distinctes mais complémentaires. Ces deux dispositifs juridiques permettent de mobiliser les créances commerciales, mais selon des logiques et des cadres légaux différents. L’affacturage, technique de financement à court terme, implique un transfert de propriété des créances, tandis que le mandat d’encaissement maintient l’entreprise propriétaire de ses créances tout en déléguant leur recouvrement. Cette distinction fondamentale engendre des conséquences juridiques, comptables et fiscales significatives que les dirigeants doivent maîtriser pour optimiser leur gestion financière et sécuriser leurs flux de trésorerie.

Fondements juridiques et mécanismes opérationnels

L’affacturage, ou factoring, constitue une opération triangulaire impliquant trois acteurs : le fournisseur (adhérent), le client (débiteur) et le factor (établissement financier spécialisé). Son cadre juridique repose sur les articles L. 313-23 à L. 313-35 du Code monétaire et financier, relatifs à la cession de créances professionnelles. Le mécanisme se matérialise par un contrat entre l’adhérent et le factor, par lequel le premier cède ses créances commerciales au second, moyennant financement immédiat et prise en charge du risque d’impayé.

La particularité de l’affacturage réside dans son caractère translatif de propriété. En effet, le factor devient propriétaire des créances cédées, ce qui lui confère un droit direct et exclusif sur les sommes dues par les débiteurs. Cette cession s’opère généralement via un bordereau Dailly, document normalisé qui doit contenir, sous peine de nullité, certaines mentions obligatoires prévues à l’article L. 313-23 du Code monétaire et financier.

Structure juridique de l’affacturage

D’un point de vue juridique, l’affacturage combine trois services distincts :

  • Le financement anticipé des créances (avance de trésorerie)
  • La gestion du poste clients (recouvrement)
  • La garantie contre l’insolvabilité des débiteurs

Cette structure tripartite fait de l’affacturage une convention sui generis, c’est-à-dire un contrat innommé combinant plusieurs techniques juridiques classiques. La Cour de cassation a d’ailleurs confirmé cette nature hybride dans plusieurs arrêts, notamment dans un arrêt du 7 mars 2006 qui souligne que « le contrat d’affacturage est une convention par laquelle un établissement financier se charge du recouvrement des créances de son client moyennant rémunération et peut régler par anticipation tout ou partie du montant des créances transférées ».

En contraste, le mandat d’encaissement relève du droit commun du mandat, codifié aux articles 1984 à 2010 du Code civil. Il s’agit d’un contrat par lequel le mandant (l’entreprise) donne pouvoir au mandataire (généralement un établissement financier) d’accomplir en son nom et pour son compte des actes juridiques – en l’occurrence, le recouvrement de créances. Contrairement à l’affacturage, le mandat d’encaissement n’emporte pas transfert de propriété des créances, qui demeurent dans le patrimoine du mandant.

Cette distinction fondamentale se traduit par des implications juridiques majeures. Dans le cadre du mandat d’encaissement, l’entreprise conserve tous les risques liés aux créances, notamment le risque d’impayé. Le mandataire agit simplement comme un intermédiaire chargé de collecter les paiements auprès des débiteurs et de les reverser au mandant, moyennant commission.

Régime fiscal et comptable comparé

Les traitements fiscal et comptable de l’affacturage et du mandat d’encaissement divergent considérablement en raison de leurs structures juridiques distinctes.

En matière comptable, l’affacturage entraîne la décomptabilisation des créances cédées du bilan de l’entreprise adhérente, conformément au Plan Comptable Général et aux normes IFRS. Cette sortie du bilan s’explique par le transfert de propriété des créances au factor. Concrètement, l’opération se traduit par:

  • Le débit du compte de trésorerie pour le montant de l’avance reçue
  • Le crédit du compte client pour le montant nominal des créances cédées
  • L’enregistrement des commissions et intérêts en charges financières

Cette mécanique comptable présente un avantage non négligeable : l’amélioration des ratios financiers, notamment le besoin en fonds de roulement (BFR) et les délais de paiement clients. La Banque de France, dans son analyse financière des entreprises, tient compte de cette amélioration structurelle du bilan.

Fiscalement, les commissions d’affacturage constituent des charges déductibles du résultat imposable, sous réserve qu’elles correspondent à un service effectif et ne soient pas excessives. La TVA grevant ces commissions est généralement récupérable selon les règles de droit commun. Par ailleurs, la cession de créances n’est pas soumise aux droits d’enregistrement, ce qui constitue un avantage par rapport à d’autres modes de mobilisation des créances.

À l’inverse, le mandat d’encaissement ne modifie pas la structure du bilan de l’entreprise mandante. Les créances demeurent inscrites à l’actif jusqu’à leur paiement effectif par les débiteurs. Seuls les frais de gestion facturés par le mandataire apparaissent en charges d’exploitation. Cette transparence comptable peut être perçue comme un inconvénient pour les entreprises cherchant à améliorer leur présentation bilancielle.

Sur le plan fiscal, les honoraires versés au mandataire sont déductibles en tant que charges d’exploitation ordinaires et soumis à TVA selon le régime général. Le Conseil d’État a confirmé cette qualification dans plusieurs décisions, écartant toute assimilation à des frais financiers dont la déductibilité pourrait être limitée.

Un point de vigilance mérite d’être souligné concernant l’affacturage avec recours (sans garantie contre les impayés) : les autorités fiscales peuvent, dans certains cas, requalifier l’opération en simple nantissement de créances assorti d’un prêt, ce qui peut entraîner des conséquences fiscales défavorables, notamment en matière de droits d’enregistrement.

Sécurisation des flux financiers et protection contre l’insolvabilité

La sécurisation des flux financiers constitue un enjeu majeur pour les entreprises, particulièrement dans un contexte économique incertain. L’affacturage et le mandat d’encaissement offrent des niveaux de protection différents face au risque d’insolvabilité des débiteurs.

L’affacturage dit « sans recours » (ou « full factor« ) représente la forme la plus complète de protection. Dans ce cas, le factor assume intégralement le risque d’impayé, sous réserve que la défaillance du débiteur soit due à son insolvabilité et non à un litige commercial. Cette garantie constitue une véritable assurance-crédit intégrée au dispositif d’affacturage. La jurisprudence commerciale a précisé les contours de cette garantie, notamment dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 février 2018, qui a rappelé que « la garantie du factor contre l’insolvabilité des débiteurs cédés ne joue pas en cas de contestation sérieuse de la créance ».

Le mécanisme de protection repose sur l’approbation préalable des débiteurs par le factor. Celui-ci fixe pour chaque client de l’adhérent un plafond d’encours garanti, au-delà duquel il n’assumera plus le risque d’impayé. Cette analyse de solvabilité constitue une valeur ajoutée non négligeable pour l’adhérent, qui bénéficie ainsi de l’expertise du factor en matière d’évaluation du risque client.

En revanche, l’affacturage « avec recours » n’offre pas de protection contre l’insolvabilité. En cas d’impayé, le factor dispose d’un droit de recours contre l’adhérent, qui devra rembourser les sommes avancées. Cette formule, moins onéreuse, s’apparente davantage à un financement qu’à une véritable gestion du risque client.

Le mandat d’encaissement, quant à lui, n’apporte aucune protection contre l’insolvabilité des débiteurs. L’entreprise mandante supporte seule le risque d’impayé, le mandataire n’ayant aucune obligation de garantie. Pour pallier cette lacune, l’entreprise peut souscrire séparément une assurance-crédit auprès d’organismes spécialisés comme Coface, Euler Hermes ou Atradius.

Toutefois, le mandat d’encaissement peut contribuer indirectement à la réduction du risque d’impayé par la professionnalisation du processus de recouvrement. Un mandataire spécialisé dispose généralement de compétences et d’outils permettant d’améliorer le taux de recouvrement et de réduire les délais de paiement. La Fédération des Entreprises de Recouvrement estime que le recours à un professionnel augmente de 30% les chances de recouvrement d’une créance.

En matière de procédures collectives (redressement ou liquidation judiciaire), la distinction entre affacturage et mandat d’encaissement prend toute son importance. Dans le cas de l’affacturage, le factor, devenu propriétaire des créances, échappe à la procédure collective qui frapperait l’adhérent. Il peut continuer à recouvrer les créances auprès des débiteurs sans être soumis à la discipline collective.

À l’inverse, en cas de procédure collective ouverte contre le mandant, le mandat d’encaissement prend fin de plein droit, conformément à l’article L. 622-13 du Code de commerce. Les sommes recouvrées mais non encore reversées par le mandataire tombent dans la masse de la procédure, sous réserve de l’existence éventuelle d’un compte séquestre.

Flexibilité opérationnelle et adaptabilité aux besoins des entreprises

La flexibilité opérationnelle constitue un critère déterminant dans le choix entre affacturage et mandat d’encaissement. Ces deux dispositifs présentent des degrés d’adaptabilité différents aux besoins spécifiques des entreprises.

L’affacturage a considérablement évolué pour s’adapter aux attentes diverses des entreprises. Loin de l’image rigide qu’il pouvait avoir, il propose aujourd’hui une gamme de formules personnalisées :

  • L’affacturage classique (notification aux débiteurs)
  • L’affacturage confidentiel (sans notification)
  • L’affacturage inversé ou reverse factoring (à l’initiative du débiteur)
  • L’affacturage à la carte (sélection des services et des créances)

L’affacturage confidentiel mérite une attention particulière car il répond à une préoccupation majeure des entreprises : préserver la relation client. Dans cette formule, le débiteur n’est pas informé de la cession de créance et continue à payer directement son fournisseur, qui reverse ensuite les fonds au factor. Cette discrétion évite tout risque d’interprétation négative par le client quant à la santé financière du fournisseur.

Le reverse factoring représente une innovation significative. Initié par le débiteur (généralement une grande entreprise), il permet à ses fournisseurs de bénéficier d’un paiement anticipé à des conditions avantageuses, grâce à la qualité de signature du donneur d’ordre. Cette formule contribue à sécuriser la chaîne d’approvisionnement tout en optimisant le besoin en fonds de roulement des fournisseurs. La Banque centrale européenne a d’ailleurs reconnu les vertus de ce dispositif pour le financement des PME dans un rapport de 2018.

En termes de volumétrie, l’affacturage offre une grande souplesse : de l’affacturage spot (cession ponctuelle de créances) à l’affacturage global (cession de l’intégralité du poste clients). Cette modularité permet aux entreprises d’adapter leur niveau de financement à leurs besoins réels de trésorerie.

Le mandat d’encaissement présente également des atouts en matière de flexibilité. Sa mise en place est généralement plus simple et rapide que celle d’un contrat d’affacturage, ne nécessitant pas d’analyse approfondie du portefeuille clients. Il peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée, et résilié avec un préavis souvent plus court que celui d’un contrat d’affacturage.

Par ailleurs, le mandat d’encaissement peut être partiel (limité à certaines créances ou certains clients) ou total. Il peut également être assorti de conditions particulières, comme l’encaissement sur un compte séquestre ou l’application de procédures de recouvrement spécifiques. Cette malléabilité permet de l’adapter précisément aux besoins de l’entreprise mandante.

Un avantage significatif du mandat d’encaissement réside dans l’absence d’engagement de volume. Contrairement à l’affacturage, qui comporte souvent des objectifs de cession minimum, le mandat ne crée pas d’obligation quant au nombre ou au montant des créances confiées au mandataire. Cette caractéristique est particulièrement appréciée des entreprises dont l’activité est saisonnière ou irrégulière.

Enfin, la digitalisation des processus a considérablement amélioré l’expérience utilisateur tant pour l’affacturage que pour le mandat d’encaissement. Les plateformes en ligne permettent désormais une gestion en temps réel des opérations, avec des interfaces de pilotage intuitives et des fonctionnalités d’analyse avancées. Cette transformation numérique contribue à rendre ces solutions plus accessibles aux PME et TPE.

Perspectives d’évolution et enjeux stratégiques pour les entreprises

L’affacturage et le mandat d’encaissement connaissent des transformations profondes sous l’effet de plusieurs facteurs : évolutions réglementaires, innovations technologiques et nouveaux comportements économiques. Ces mutations ouvrent des perspectives inédites tout en soulevant de nouveaux enjeux pour les entreprises.

Le cadre réglementaire de l’affacturage s’est considérablement renforcé ces dernières années. L’entrée en vigueur de Bâle III, puis des futures normes Bâle IV, impose aux factors des exigences accrues en matière de fonds propres et de gestion des risques. Cette pression réglementaire pourrait entraîner une sélectivité plus grande des dossiers et une hausse des tarifs, particulièrement pour les entreprises présentant un profil de risque élevé.

Parallèlement, la digitalisation bouleverse le marché de l’affacturage et du recouvrement. L’émergence de plateformes fintech proposant des solutions d’affacturage 100% digitales (Finexkap, Fintecture, Libeo) intensifie la concurrence et tire les prix vers le bas. Ces nouveaux acteurs misent sur la simplicité d’utilisation, la rapidité de mise en place et la transparence tarifaire pour séduire les TPE/PME traditionnellement délaissées par les factors institutionnels.

L’intelligence artificielle représente un levier majeur d’évolution pour ces deux dispositifs. Les algorithmes prédictifs permettent désormais d’affiner l’évaluation du risque client, d’optimiser les stratégies de recouvrement et d’automatiser les tâches à faible valeur ajoutée. La Blockchain offre également des perspectives intéressantes, notamment pour sécuriser et fluidifier les cessions de créances, comme l’a démontré le projet Marco Polo porté par plusieurs banques internationales.

Vers une hybridation des solutions

La frontière entre affacturage et mandat d’encaissement tend à s’estomper avec l’apparition de solutions hybrides combinant les avantages des deux dispositifs. Ces formules mixtes permettent aux entreprises de bénéficier d’un financement partiel de leurs créances tout en conservant la maîtrise de la relation client.

Par exemple, certains établissements proposent des mandats d’encaissement assortis d’une avance de trésorerie plafonnée à un pourcentage de l’encours confié. Cette formule, juridiquement distincte de l’affacturage, offre une solution intermédiaire particulièrement adaptée aux entreprises réticentes à céder la propriété de leurs créances mais nécessitant néanmoins un soutien de trésorerie.

Pour les entreprises, le choix entre affacturage et mandat d’encaissement s’inscrit désormais dans une réflexion stratégique globale sur la gestion du poste clients. Au-delà des aspects financiers immédiats, plusieurs paramètres doivent être pris en compte :

  • L’impact sur la relation client et l’image de l’entreprise
  • La cohérence avec la stratégie commerciale et le cycle d’exploitation
  • L’intégration dans le système d’information financier
  • Les conséquences sur les covenants bancaires et les notations financières

Le contexte international mérite une attention particulière. L’affacturage à l’export connaît une croissance soutenue, porté par les besoins de sécurisation des transactions internationales. Les solutions d’affacturage multi-devises et multi-pays se développent, souvent adossées à des réseaux internationaux de factors comme FCI (Factors Chain International). Ces dispositifs permettent aux entreprises exportatrices de gérer efficacement le risque pays et le risque de change, tout en bénéficiant d’une connaissance fine des pratiques locales de paiement.

La crise sanitaire a révélé l’importance stratégique de ces outils dans la gestion de trésorerie. Face aux tensions sur les chaînes de paiement, de nombreuses entreprises ont intensifié leur recours à l’affacturage ou au mandat d’encaissement pour préserver leur liquidité. Cette tendance pourrait s’inscrire dans la durée, avec une intégration plus poussée de ces dispositifs dans les stratégies financières des entreprises, y compris en période de stabilité économique.

Enfin, la finance durable commence à influencer le marché de l’affacturage avec l’apparition de solutions intégrant des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance). Certains factors proposent désormais des conditions préférentielles pour les créances liées à des projets ou clients répondant à des critères de durabilité. Cette évolution témoigne de l’adaptation constante de ces outils financiers aux nouvelles attentes des entreprises et de la société.

Dans cette perspective évolutive, les entreprises gagneraient à adopter une approche dynamique et comparative, réévaluant périodiquement la pertinence de leur choix entre affacturage et mandat d’encaissement à la lumière des innovations du marché et de l’évolution de leurs propres besoins.